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Bruno Levy et Thibaut Lagorce

7 questions à se poser avant de pivoter

Dernière mise à jour : 15 juin 2022

A travers des exemples concrets de startups que nous avons eu la chance d’accompagner, nous allons répondre aux 7 questions qu’un entrepreneur doit se poser avant de prendre la décision de pivoter.


Question 1 : Quand devez-vous décider de pivoter ?

Le pivot est une action engageante et risquée pour une entreprise, il ne faut donc l’entreprendre que si on en ressent l’absolue nécessité, notamment lorsque l’échec des actions passées est patent.

Pour Soan, jeune startup française initialement présente sur le marché des architectes, tout commence plutôt bien : mi-2018, l’équipe entrepreneuriale contacte 200 architectes pour identifier s’il y a des choses à améliorer, développe son produit, lève des fonds et recrute ses premiers collaborateurs.


Un an après, la commercialisation démarre avec le même enthousiasme : ils appellent près de 2000 architectes en 3 mois, soit 17% de leur cible, et réussissent à engager la conversation avec près de 1 200 d’entre eux. 10% leur répondent qu’ils ne sont pas intéressés par leur solution, 2/3 des architectes semblent intéressés et 1/3 prêt à assister à une démo du produit (320 démos planifiées).


Et puis patatras ! Fin septembre 2019 Soan s’aperçoit que 70% des rendez-vous de démos se sont transformés en no show, et aucun des architectes ayant assisté à une démo ne s’est reconnecté avec les codes d’essai mis à disposition lors de la démo.

Inutile de dire que face à ce constat, l’équipe de Soan n’a pas mis longtemps à comprendre que pivoter était une question de survie.

La décision de pivoter est toujours une question de moyens et de temps.

Quand WisElement, une startup spécialisée dans l’énergie durable s’est rendue compte que le succès de son premier produit générait des besoins de trésorerie insoutenables qui nécessitaient une capacité financière qu'elle n'avait pas, là aussi il n'a pas fallu longtemps à ses dirigeants pour comprendre qu'ils devaient trouver une solution.


C’est dans ce contexte qu’ils ont lancé SATO, un chauffe-eau TRÈS innovant. Mais cette fois, leur intention était de ne rien laisser au hasard pour réussir à pivoter et se faire une place sur un marché concentré autour de 2-3 acteurs en place depuis de nombreuses années.


Comme WisElement avait un cash burn faible, l'équipe s’est donnée le temps d'atteindre un double objectif : identifier d’un côté les priorités des propriétaires de logement qui pourraient rendre l’adoption du chauffe-eau SATO indispensable, et de l’autre les priorités des plombiers lorsqu’ils installent de nouveaux chauffe-eaux.



Question 2 : Quand vaut-il mieux cesser de poursuivre un pivot ?

Le premier critère c’est quand le temps estimé pour réussir le pivot est supérieur au temps qu’il reste à la startup avant qu’elle ne soit à court de trésorerie.

Le second critère, c’est quand on a aucune information objective que le pivot va fonctionner.

Pour illustrer cela, on peut prendre l’exemple de Foodette, une foodtech fondée en 2013 par l’un de nous deux. Foodette a décidé de pivoter parce que ses dirigeants se sont rendu compte qu’un de leurs concurrents avait pivoté avant eux et ils ont constaté que cela fonctionnait.


Pour autant, il y avait à peine 1 mois et demi de cash dans les caisses, ce qui n’était pas suffisant si on se réfère au premier critère mais l'exemple de leur concurrent leur a montré chaque jour qu'ils manquaient une opportunité.


Le troisième critère, c’est aussi lorsque l’entrepreneur constate non seulement que son intuition initiale n’a pas fonctionné mais aussi qu’il n’est pas capable de rassembler des faits objectifs indiquant la possibilité d’un pivot réussi. Dans ce cas, il peut être préférable de s'arrêter.



Question 3 : un pivot est-il toujours possible ?

Cela dépend du stade d’avancement de la startup :

Dans une phase très early stage, une startup cherche avant tout à trouver son marché et son positionnement. Elle opère donc parfois de nombreux « pivots ». Mais ces pivots successifs ne mettent pas en danger la société car ils n’engagent que les fondateurs.

Quand la fondatrice de SugarMama, une startup de la Silicon Valley, cherche à comprendre comment elle peut trouver une place sur le marché très concurrentiel de la perte de poids, elle se donne 12 mois pour réussir. Pendant ces 12 mois, elle va notamment envisager différents business models, évaluer différentes hypothèses de positionnement qui sont autant de pivots. Mais cela n’a aucun impact sur le business puisqu’elle n’a pas encore de clients, pas d’investisseurs, pas de salariés. Elle peut donc décider d’effectuer un pivot à tout moment car cela n’engage qu’elle-même.

En revanche, quand une startup a déjà commencé la commercialisation d’un produit sur un marché donné, qu’elle a déjà levé des fonds, recruté des salariés, pivoter devient une décision beaucoup plus complexe et surtout plus anxiogène pour l’entrepreneur. Il n’a pas pratiquement le droit de se tromper : s’il échoue cela entraîne la fermeture de la société avec toutes les conséquences que cela suppose : pertes pour les investisseurs, chômage pour les salariés et risque pour l'entrepreneur de se retrouver dans une situation personnelle critique comme lorsque, par exemple, il a engagé toutes ses économies dans son projet.


Dans ce deuxième cas, nous conseillons à la startup de faire soutenir son pivot par les actionnaires et les fournisseurs. Foodette, par exemple, a réalisé que, même après avoir obtenu l'accord de ses fournisseurs de ne pas être payé pendant 3 mois, il manquait quand même 3 000 euros pour être capable de mettre en œuvre son pivot. Ceci peut sembler peu, mais si les investisseurs n’avaient pas accepté de les apporter, la société aurait déposé le bilan juste au moment où le pivot commençait à porter ses fruits.

Et puis parfois la marche est trop grande à franchir et il vaut mieux sauver les meubles que de s’acharner, y compris dans une perspective de se relancer après un échec.

Pour reprendre une célèbre maxime : Errare humanum est, perseverare diabolicum

Question 4 : Comment faire pour éviter de devoir pivoter ?

A partir de l’expérience d’une soixantaine de startups, nous avons pu constater que dans de nombreux cas, la nécessité du pivot résulte d’une trop grande confiance de l’entrepreneur vis-à-vis de sa compréhension de comment les clients potentiels perçoivent la valeur de sa solution. Il est en effet très difficile de comprendre de façon neutre les besoins des clients indépendamment de la manière dont sa solution les résout.

De nombreux entrepreneurs, même expérimentés, ont beaucoup de mal à comprendre comment amener les clients potentiels à percevoir la valeur de leur solution. Ces entrepreneurs ont alors tendance à se concentrer sur la satisfaction des besoins auxquels justement leur solution peut répondre sans aucune preuve que ces besoins sont prioritaires pour leur marché.


Cela peut les conduire à prendre des décisions biaisées par leur volonté d'avoir raison. Dans ce contexte, il leur est très difficile de faire la différence entre 2 situations : une absence de marché ou un échec à trouver quelle solution est valorisée par le marché visé.


Ce biais est parfaitement illustré dans une étude réalisée auprès de 101 startups ayant échoué.


source : https://www.cbinsights.com/research/startup-failure-reasons-top/.

Dans cette étude, nous voyons que la première raison d’échec donnée par les entrepreneurs est l'absence de marché (42% d'entre eux). L'incapacité à identifier quelle solution est valorisée par le marché n'est même pas citée comme une raison d’échec !


ll y a quelques années QuickText se positionnait comme une solution d’intelligence artificielle pour hôteliers. A l’époque, l’IA était loin d’être un buzz word et aucun hôtelier ne s’y intéressait. Face à ces difficultés, QuickText aurait pu conclure qu’il n’y avait pas de marché (le futur leur aurait malheureusement donné tort).


Au lieu de cela, Quicktext a trouvé un moyen de faire mieux percevoir aux hôteliers la valeur de sa solution en découvrant leur principale préoccupation : plus de 70% des ventes d'un hôtel lui sont piquées par les agences de voyage en ligne comme Booking et Expedia. L’équipe dirigeante a donc opéré un pivot de proposition de valeur en positionnant Quicktext comme une solution pour aider les hôteliers à "reprendre le contrôle de leurs ventes".


Avant de conclure qu’il n’y a pas de marché et qu’un pivot est nécessaire ; il faut se demander si ce n’est pas sa propre méconnaissance des priorités de son marché qui empêche d’avancer.


Et, bien sûr, un pivot est parfois absolument nécessaire, comme c'est le cas de nombreuses start-ups qui ont vu leurs revenus, parfois même auparavant en forte croissance, totalement interrompus par le covid.

Question 5 : Comment gérer votre équipe pendant un pivot ?

Réussir son pivot implique que tous les acteurs de l’entreprise soient convaincus de la nécessité de pivoter (pour éviter la dispersion) et que chacun intègre rapidement la nécessité de changer afin que la start-up maximise son impact sur le marché.


Quand Soan a pivoté du marché des architectes au marché des freelances, ils ont mis 6 semaines. Dans les 2 premières semaines, les équipes ont appelé 60 freelances qu’elles ne connaissaient pas. Le CEO de Soan, Nicolas Lemeteyer, a voulu que tout le monde s’y mette, chaque membre de l'équipe a appelé des freelances, même le CTO.


Cela leur a permis non seulement d’être convaincus le plus tôt possible des chances de succès de ce pivot, mais aussi de se créer une vision de l’opportunité de marché, un atout qui s’est avéré essentiel pendant l’étape de formulation de la nouvelle proposition de valeur.

Résultat, 2 semaines après pivot, ils avaient 212 inscrits, 145 projets créés, une dizaine de transactions effectuées pour un CA transactionnel supérieur à 10 000 euros. A comparer avec 0 vente et 0 utilisation sur le marché des architectes 6 semaines auparavant !


Notre constat est que pivoter pour une start-up est déjà assez difficile mais pivoter pour une start-up qui a des commerciaux l’est encore plus. La responsabilité d’un commercial c’est de vendre, pas d’explorer ce qui fait vendre. Sa rémunération en dépend. Il faut donc réussir à le convaincre que le nouveau discours permettra de lui faire gagner de l’argent.


Notre conseil est le suivant : en tant que dirigeant d'une start-up, si vous n'avez pas un discours dont vous êtes sûr qu’il fait vendre, il est prématuré de chercher à motiver vos commerciaux. La raison est simple : si le commercial n’atteint pas ses objectifs il est impossible de savoir si c’est le commercial ou le discours qui est mauvais.


D'une manière plus générale, il ne faut pas sous-estimer l'importance de changer le discours de l'entreprise et de le faire adopter par les personnes qui ne font pas partie des fondateurs. C'est pourquoi le pivot doit être une aventure collective qui implique ... tous ceux qui restent dans la start-up pour la faire pivoter.


Question 6 : Comment réussir son pivot ?

Commençons par expliquer comment on risque de rater son pivot.


Comme nous le savons tous, l'objectif d'un pivot est d'atteindre ce que l'écosystème des start-ups appelle l'adéquation produit-marché.


La théorie dominante aujourd’hui est de partir d’une idée de pivot (avec tous les biais que cela suppose), d’en développer tout ou partie pour valider s’il sera adopté, puis de pivoter par itération jusqu’à atteindre ce fameux product market fit.

David Rusenko, fondateur et CEO de Weebly aux Etats-Unis (concurrent de Wix) qu’il a vendu 350 millions de dollars, illustre cette méthode de la façon suivante :

Puis il détaille ensuite cette fameuse étape 3 où tout se joue.

source : https://www.youtube.com/watch?v=0LNQxT9LvM0

C’est ce que nous appellons une approche product-to-market : le pivot est défini et engagé AVANT d’être validé. Le problème avec cette méthode est illustré à l'étape 7 (sur la seconde image) : David Rusenko estime que cela lui a pris 27 itérations sur les étapes 1 à 6 avant de trouver son product market fit.

27 iterations !!??

Ce chiffre est hallucinant ! Supposons que chaque itération prendra entre 2 et 4 semaines (ce qui est réaliste), il faudra plus de 18 mois pour enfin obtenir une solution que le marché aura envie d’acheter. Si certains ont besoin de 27 itérations d’autres peuvent prendre 18 ou même 53 itérations… ce qu’illustre le talk de David Rusenko au final, c'est que les méthodes "product-to-market" sont intrinsèquement aléatoires.

Ce qui veut dire que toute startup qui décide de suivre cette méthode pour accomplir son pivot mise son avenir sur le hasard avec pour corollaire un risque très fort d’épuiser ses ressources avant d’y arriver.

Une autre approche est possible.


Cependant, une autre approche est possible. Elle consiste à identifier quels besoins du marché valent la peine d'être ciblés AVANT de développer l'offre adéquate.


C'est ce que nous appelons une approche market-to-product. Dans cette approche, le pivot est défini et engagé APRÈS avoir en quelque sorte "simulé" son l'adoption par le marché. C’est grâce à cette nouvelle approche que SOAN a pu réussir son pivot en 6 semaines.


Pour faire comprendre les avantages de la simulation de marché : Tout le monde sait que les frères Wright ont été les premiers à faire voler un avion. Ce que l’on sait moins, c’est pourquoi les frères Wright ont réussi là où tout le monde a échoué : c'est parce qu'ils ont été les premiers à concevoir une machine permettant de simuler l'effet de l'air sur la portance des ailes.


Cette idée de faire une simulation fonctionne aussi bien pour les startups early stage que pour celles qui sont plus avancées.


Dans le cas de SugarMama par exemple (marché de la perte de poids), l'objectif était d'identifier quelle priorité peut pousser les gens à adopter une nouvelle solution pour perdre du poids.


Une simulation de marché, permet de réussir son pivot beaucoup plus rapidement que les méthodes "product-to-market" car elle permet à une start-up de construire son positionnement sur la base d'une vision objective de ce qui motive le march. Cela évite de perdre des mois à corriger des erreurs de positionnement dues à des biais de choix inconscients de la part de l'équipe entrepreneuriale.


Dans le cas de SOAN, l’approche a permis de simuler le succès du pivot vers les freelances avant de modifier la première ligne de code de la solution logicielle développée initialement pour les architectes et de pivoter d’un marché à l’autre en 6 semaines.


Quant à WisElement, cela lui a permis de comprendre qu’il y avait une place à prendre sur le marché des chauffe-eaux qu’ils n’avaient pas imaginé au départ, économisant ainsi de nombreuses itérations qui auraient pu être aussi aléatoires qu'infructueuses.



Question 7 : Quelles sont les informations les plus importantes pour réussir à pivoter ?


Pour réussir un pivot, il faut disposer d’informations qui permettent de prédire que le pivot va marcher. Dans le cas de Foodette, ces informations ont été données par un concurrent qui avait trouvé le premier comment pivoter.


Si on n’a pas la chance de disposer de telles informations, il est très utile de procéder à une sorte de "market-a-thon" qui fait découvrir des informations factuelles et quantitatives sur ce que sont les vrais besoins cachés du marché - ceux sur lesquels il faut se positionner pour croitre mais que personne d’autre n’a encore découvert. C’est clairement ce qui a poussé Aude Guéneau, fondatrice de PLUME, une application qui permet aux enfants de mieux s’exprimer à l’écrit, à adopter l’approche market to product.


Au lieu de s'appuyer sur une perception subjective du marché, PLUME a ainsi été capable de prendre une décision de positionnement audacieuse mais rationnelle, basée sur des faits. PLUME a été capable de remplacer le positionnement traditionnel "ludo-éducatif" adopté par la plupart des applications d'apprentissage pour les enfants en se positionnant comme une solution permettant l'autonomie d'apprentissage des enfants (les parents qui ont fait l'expérience du télétravail pendant le premier confinement du COVID, alors que leurs enfants restaient à la maison, ont apprécié cette solution).


Prendre des décisions audacieuses basées sur des faits, voilà ce dont les entrepreneurs ont besoin pour réussir à pivoter, ne serait-ce que pour réduire les chances de reproduire les erreurs qui les ont justement amenés à pivoter.


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